ESSAIS ET MODÉLISATION FOCUS AÉRONAUTIQUE ENTRETIEN « Seuls ceux qui ont compris les défis du SDM s’en sortiront » Devant les montées en cadence, les exigences en matière de sécurité, de qualité et de consommation d’énergie, le secteur aéronautique est aujourd’hui confronté, au niveau de la conception des appareils, à une explosion des données de calculs. Pour y faire face, les constructeurs et les sous-traitants se dirigent de plus en plus vers des solutions de gestion de données de simulation. Encore timides à l’échelle mondiale, ces outils s’avèreront très vite incontournables, comme le soutient Mark Norris, consultant et formateur SDM au sein du Nafems. Mark NORRIS Consultant SDM auprès des industriels dans la mise en place de solutions de simulation numérique, Mark Norris est ingénieur aéronautique. Il a démarré sa carrière en 1978 dans le domaine du calcul puis dans la CAO avant d’élargir son champ de compétences dans le PDM et le PLM pour enfin se spécialiser dans le SPDM. Mark Norris assure également des formations au sein de Nafems Europe dans le SDM. COMMENT DÉFINIR LE SPDM ? Il s’agit d’un domaine de gestion des données très différent du PDM ou du PLM. En général, on intègre la totalité des données dans le PLM. C’est utile car toutes les informations sont accessibles à tout le monde. Dans le cas de données de simulation, elles ne sont au contraire exploitables que par des ingénieurs de calcul ; il s’agit donc d’un domaine qui n’a pas d’intérêt particulier à être à l’intérieur du PLM car les autres services ne peuvent rien en faire, si ce n’est en interpréter les résultats. À titre d’exemple, quand un constructeur automobile mène des essais, il génère des millions d’objets ; le PLM n’en rassemble que 10 000 ou 20 000 maximum ! On comprend qu’il n’est pas intéressant de mettre toutes les données de simulation dans le PLM. Même si celles-ci doivent être intégrées de manière à pouvoir suivre l’état d’avancement du projet et en extraire les résultats. Autre fait significatif : seulement 1% des données de simulation sont gérées contre 90% dans le PLM. OÙ EN SOMMES-NOUS AUJOURD’HUI ? Cette question est davantage prise en compte en Europe, beaucoup moins aux États-Unis. Par rapport à Boeing notamment (qui a quand même développé en interne une solution mais qui ne s’avère pour le moment pas très flexible ni communicante), Airbus se montre assez solide dans la gestion des données de simulation ; quant à Safran, le groupe a mis en œuvre un système SDM particulièrement bien réussi portant sur le train d’atterrissage de l’A350. L’intérêt pour le sous-traitant est considérable car désormais, il est possible d’être très réactif vis-à-vis des conséquences inattendues dans le projet mais aussi de refaire des calculs pendant le projet si l’on souhaite améliorer et modifier certains paramètres. Lancé il y a environ trois ans chez Safran, ce premier projet SDM est excellent mais demeure en retard par rapport au développement portant sur PLM que Safran a démarré dans les années 90. À QUOI TIENT L’ADOPTION D’UNE SOLUTION SDM DANS UNE ENTREPRISE ? Cela dépend beaucoup de la direction des services, en particulier dans les projets FUI. Thierry Chevalier, par exemple, qui est intervenu lors de la dernière conférence Nafems sur les données de simulation, est le gestionnaire de tout ce qui était gestion de données de simulation pour le « flight physics » et l’étude aérodynamique pour Airbus ; leur système est en production depuis déjà dix ans. Les ingénieurs d’études disposent ainsi de toutes leurs données sur ordinateur et un système SDM permet de tout gérer et contrôler ; chez Airbus, le groupe possède d’ailleurs d’autres systèmes SDM. L’équipe de l’avionneur est aussi partie prenante dans le projet Crescendo portant sur la gestion des données de simulation pour l’entreprise virtuelle. Ce projet était important pour Airbus 16 IESSAIS & SIMULATIONS • N°131 • Décembre 2017
ESSAIS ET MODÉLISATION FOCUS AÉRONAUTIQUE Simulation de réduction de trainée - Copyright: Onera dans la mesure où le constructeur ressent aujourd’hui le besoin d’optimiser tous les systèmes (moteur, structure, voilure etc.). Une initiative appelée MoSSEC (Modeling and Simulation information in a collaborative Systems Engineering Context – NDLR) ; celle-ci porte sur la modélisation et la simulation dans un système d’ingénierie complexe, et dont la finalité est de pouvoir acheminer des opérations de simulation à d’autres sociétés pour ensuite permettre à l’architecte d’avoir une vue homogène de la simulation. Mais cela avance lentement car Airbus n’a pour le moment pas de nouveau programme en cours. QUI SE CACHENT DERRIÈRE TOUS CES DÉVELOPPEMENTS ? IMPLIQUENT-ILS L’ENSEMBLE DES ACTEURS INDUSTRIELS, DES ÉDITEURS ET DE LA RECHERCHE ? On trouve peu de travaux de recherche académique sur ce sujet. Sur le marché, ce sont surtout les éditeurs qui stimulent la demande. Il existe des éditeurs de logiciel SDM – qui sont d’ailleurs très différents des éditeurs de solutions PLM – parmi lesquels figure MSC Software qui s’est lancé en premier dans ce domaine et travaille depuis plusieurs années avec l’automobile mais également avec des acteurs de la filière aéronautique. Il y a également PDTech, distribué aujourd’hui par l’Allemand Altair. On trouve aussi sur le marché ESI Group et d’autres acteurs. Enfin, certains éditeurs de PLM tentent aussi de se lancer dans le SDM mais sans trop de réussite pour le moment. POUR QUELLE RAISON LES ÉDITEURS DE SOLUTIONS PLM NE PARVIENNENT POUR LE MOMENT PAS À FAIRE DU SDM ? L’approche liée aux données de calcul est radicalement différente. Dans une étude comparative que j’ai réalisée récemment, je montrais qu’en général, un ingénieur – autre qu’un ingénieur calculs – crée un voire deux objets tous les quinze jours et y travaille pendant un mois pour y apporter les modifications nécessaires. Un ingénieur calculs crée quant à lui des centaines d’objets quotidiennement ; il est donc impossible de créer un objet à la main. Il faut alors un système capable de documenter tout ce qu’on a créé. Pour répondre à cette volumétrie de données, nous avons besoin d’automatiser les processus de saisie d’informations ; sans cela, le système d’informations, s’il n’est pas suffisamment performant, sera d’emblée rejeté par les personnes concernées. Par ailleurs, les ingénieurs de calculs représentent une compétence rare, donc il y en a peu ; on peut donc aisément comprendre que cela n’intéresse pas spécialement les éditeurs de PLM. D’autant que la question de l’intégration dans les multiples logiciels de calculs disponibles sur le marché se révèle compliquée. Il en est de même pour les industriels ; c’est difficile mais seuls ceux qui ont compris le défi du SDM s’en sortiront. QU’EST-CE QUI MANQUE AUJOURD’HUI AUX SOLUTIONS PRÉSENTES SUR LE MARCHÉ POUR ENCORE AMÉLIORER LES PERFORMANCES ? Les produits que l’on trouve chez Altair, MSC et ESI sont déjà très performants. Le problème est que ces solutions demeurent chères et difficiles à mettre en œuvre. Elles nécessitent un projet de mise en œuvre. C’est pourquoi j’essaie de créer avec un éditeur un système open source qui, bien évidemment, ne viendrait pas concurrencer les logiciels du marché, mais permettrait aux utilisateurs d’apprendre ce qu’est réellement un SDM, d’en comprendre le mécanisme et de savoir ce qu’ils peuvent en tirer. Cela leur permettrait ensuite de les convaincre d’adopter une telle solution et d’orienter leur choix vers des produits du marché mais aussi justifier plus facilement leur projet auprès de leur direction. Nous démarrons tout juste cette activité à partir d’une solution simple, destinée notamment aux petites entreprises de manière à avoir une première approche. Propos recueillis par Olivier Guillon ESSAIS & SIMULATIONS • N°131 • Décembre 2017 I17
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