DOSSIER L'INTERVIEW Vers plus d’essais hybrides et d’interopérabilité au sein de la DGA pour des évaluations de « bout en bout » Chargée d’équiper les forces armées de façon souveraine et de préparer le futur des systèmes de défense, la Direction générale de l’armement (DGA), premier investisseur de l’État (23,5 Md€ de commandes à l’industrie en 2021), conduit plus d’une centaine d’opérations d’armement par an permettant de fournir aux armées françaises l’ensemble des équipements nécessaires à la réalisation de leurs missions. Elle assure la maîtrise d’ouvrage des systèmes d’armes sur toute la durée de vie des programmes, de leur préparation à leur utilisation tout au long de leur vie. Deux ingénieurs (civil et militaire) font le point sur les évolutions de leur métier en matière d’essais et de simulation. QUELLES FONCTIONS EXERCEZ-VOUS AU SEIN DE LA DGA ? Raphaël, ingénieur en chef de l’armement : Je suis responsable du métier « simulations et informatique des essais » qui compte près de 230 personnes travaillant sur l’ensemble des sites. Je travaille à la direction technique au centre DGA Ingénierie des projets. Parmi mes principales attributions figure la définition de la stratégie de simulation, pour soutenir la conduite des opérations d’armement. Je contribue aussi au chantier de transformation numérique de la DGA concernant l’ingénierie des essais. Baptiste, ingénieur civil : Je suis responsable du département en charge de la simulation numérique pour les essais du combat collaboratif terrestre, au sein du centre DGA Techniques terrestres. DANS LE CONTEXTE DE GUERRE, COMME EN CE MOMENT EN UKRAINE, QUEL RÔLE JOUE LA DGA ? Dans le cadre de la conduite des opérations d’armement, la DGA spécifie, évalue et teste dans ses centres d’expertise et d’essais tous les équipements de défense produits par les industriels depuis la phase de spécification jusqu’à leur livraison aux armées. Concernant l’Ukraine, la DGA se tient prête à effectuer si nécessaire, en fonction des enseignements qui seront tirés du conflit, de nouveaux essais ou expertises sur les équipements, actuels ou futurs, destinés aux armées. DE QUELS TYPES DE MOYENS D’ESSAI DISPOSEZ-VOUS ET QUE TESTEZ-VOUS ? Raphaël : La DGA dispose de dix centres d’expertise et d’essais dotés de moyens d’évaluation des systèmes de défense (drones, missiles, aéronefs, sous-marins, navires de surface, véhicules, systèmes d’information, satellites…). Le centre DGA Ingénierie des projets est, quant à lui, le centre référent pour l’architecture technique des systèmes d’armes. À ce titre, il élabore les méthodes et les outils partagés en matière d’ingénierie de systèmes et de simulation numérique. Les experts et architectes du centre interviennent le plus souvent au cœur des équipes de programme mais assurent également des activités d’appui à l’innovation, de soutien à l’export, de prospective, de soutien à l’autorité technique, concourant ainsi à toutes les missions de la DGA. Nous utilisons des outils d’ingénierie système permettant la modélisation d’architecture, la gestion des exigences, des tests ou des faits techniques. Nous proposons aussi aux différents 34 IESSAIS & SIMULATIONS • N°149 • mai - juin - juillet 2022
DOSSIER Cabine de simulation permettant de reproduire une multitude de scénarios centres un socle commun et interopérable de services de simulation numérique : des outils de simulation technico-opérationnelle, des services de simulation de la situation tactique et des environnements synthétiques. . ©DGA Baptiste : Le centre DGA Techniques terrestres, implanté à Bourges et Angers, accueille le laboratoire du combat collaboratif terrestre. Basé sur des moyens d’essais réels et divers outils de simulation numérique, cette capacité technique a été mise en place pour soutenir les programmes d’armement afin de préparer les futurs systèmes de combat terrestre en abordant toutes les phases de leur développement, de la conception à la qualification. Le recours à des environnements simulés permet de réaliser des expérimentations au plus proche des conditions réelles d’utilisation des futurs systèmes, dont plus spécifiquement ceux développés dans le cadre du programme d’ensemble SCORPION et du combat collaboratif terrestre. Le degré de réalisme est inédit. Pour ce faire, nous utilisons trois grandes capacités de simulation numérique. La première concerne la simulation dite immersive. Celle-ci s’appuie sur notre simulateur Sispeo, qui permet de réaliser des mises en situation très réalistes pour aider à la capture des besoins (fonctionnels et ergonomiques). Lors de ces expérimentations, des opérationnels de l’armée de terre sont placés dans des cabines de simulation représentatives des postes d’équipage pour jouer un scénario opérationnel. Deuxième grande capacité, la simulation constructive (en phase amont ou d’évaluation) qui consiste à évaluer les algorithmes du combat collaboratif terrestre en simulant des phases d’engagement face à une menace. L’intérêt de ce type de simulation est de pouvoir jouer un nombre important de scénarios différents dans un environnement entièrement maîtrisé. Enfin vient la simulation hybride. Elle est utilisée principalement lors des phases d’évaluation finale avant la qualification d’une nouvelle fonctionnalité. Dans ce cas, les essais réalisés sur notre polygone d’essais mettent en œuvre des moyens réels et des moyens de simulation pour simuler, typiquement, des menaces ou d’autres systèmes d’armes absents. QUELLES SONT VOS PERSPECTIVES POUR 2022 ET LES ANNÉES À VENIR ? COMMENT COMPTEZ-VOUS ADAPTER VOS ACTIVITÉS LIÉES AUX ESSAIS ? En matière d’évolution de nos métiers, nous pouvons dire que depuis plusieurs années les solutions progressent vers toujours plus de numérisation. Celle-ci s’accélère en même temps que le fonctionnement en réseau, à l’exemple du SCAF 1 et de son cloud de combat. Au sein de ce cloud, l’avion de combat nouvelle génération sera accompagné de remote carriers (des drones autonomes), connectés avec des avions de surveillance et des centres de commandement. Il en est de même pour le programme Scorpion qui comprend un ensemble de véhicules (Griffon, Serval, Jaguar…) collaborant à la fois pour mieux se protéger et pour mieux riposter face aux menaces. Raphaël : Dans ce cadre, nos moyens de simulation et d’essais doivent s’adapter pour tester des comportements de bout en bout. Ceci implique un effort sur l’interopérabilité de nos moyens, effort d’autant plus nécessaire que les opérations se déroulent de plus en plus dans un cadre interarmées et « interalliés ». Ce contexte conduit aussi à développer de plus en plus des essais hybrides où les systèmes réels sont immergés et stimulés par un environnement simulé, illustrant la synergie importante entre essais et simulations. Parmi les travaux en cours, nous travaillons actuellement à une expérimentation distribuée multi-milieux s’appuyant sur l’interopérabilité entre différents centres de la DGA. Ces premiers travaux appellent, dans les 5 prochaines années, à améliorer encore nos moyens pour gagner en efficacité et réactivité dans la mise en œuvre de ces expérimentations complexes. Des actions sont ainsi identifiées au niveau des services réseaux pour la connectivité, la sécurité et les performances. Un autre pan d’actions concerne l’adoption d’un approche moderne « MSaaS » (Modelling and Simulation as a Service). Ce paradigme, poussé par l’OTAN et intrinsèquement interopérable, s’appuie sur des technologies du cloud (virtualisation, clients légers) pour réduire drastiquement les cycles de mise au point. ● 1. Système de combat aérien du futur Propos recueillis par Olivier Guillon ESSAIS & SIMULATIONS • N°149 • mai - juin - juillet 2022 I35
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